Essai #31 : Rien que des images
Il n’empêche que je n’arrive toujours pas à comprendre qu’on fasse encore des films, appelons ça classiques, traditionnels, industriels, peu importe, comme je ne comprends pas qu’il y ait toujours des aristocrates ou des prêtres ou des gens pour écrire des romans ou faire de la danse classique.
Je ne serai pas agressif, je ne me sens pas assez concerné et précisément, je ne comprends pas que les gens qui font ou qui vont voir ces films se sentent concernés, parce que je ne vois pas à quoi ça correspond maintenant, actuellement, tout de suite, dans la réalité. Qu’on aime l’archéologie, oui, bien sûr, il y a de quoi être fasciné même, mais ça ne donne l’idée à personne de fabriquer à l’heure d’aujourd’hui des fossiles. Le cinéma industriel produit des fossiles. Parfois de très jolis fossiles, aussi agréables à regarder qu’une prouesse de patinage artistique ou qu’une virtuosité de gymnastique rythmique, des fossiles époustouflants techniquement, mais sans aucune conséquence, parce qu’ils parlent de quelque chose qui n’existe plus depuis longtemps.
Il y a un moment où c’est quand même tout le rapport au cinéma qui est louche et suspect, la méthode, la pratique, la forme, le sens… Parce que les réalisateurs ne réalisent pas, ils virtualisent et ils mentent. Je veux dire, et je veux vraiment le dire, que mimer des histoires de vie que la plupart des gens ne connaîtront jamais, c’est fantasmer la réalité, et c’est lui donner tort. Et que toute une équipe se plie à cet objectif délirant, parce que c’est un délire, il faut le dire, de produire un idéal et des images, c’est exactement comme de partir en croisade pour dieu, de se déformer le corps pour la beauté ou de tuer des peuples entiers pour la perfection d’un peuple, oui je dis ça, oui, je sais, mais je le pense. On a réussi à se débarrasser des idéaux, à ne plus se mettre au pas d’un sens supra-individuel imaginaire qui normalisait et justifiait tout là où le cinéma continue d’en fabriquer un et de s’y soumettre. Et quand je vois un être humain, parce que ce n’est jamais qu’un être humain, c’est-à-dire un être ample et complexe, jouer le rôle de producteur, remplir son rôle, chercher à y correspondre, ressembler à l’image qu’on se fait d’un producteur, n’être plus que cette image (je rappelle qu’une image n’a que deux dimensions), ou le réalisateur investir sa mission idéale, ou l’acteur se torturer non pas pour que la caméra capte de lui sa réalité, on ne capte pas la réalité d’un être humain en le mettant dans des conditions virtuelles et délirantes, c’est tellement évident quand même, non, mais pour singer la vie, pour faire le singe ou le chien savant, je me dis que quand même la réalité n’est pas telle pour qu’on la déteste à ce point.
Le cinéma industriel produit un délire narcissique de petits autres (de a lacaniens), d’images projetées et délirantes de la réalité dont toute la société se rend complice. Et c’est beau et touchant, bien sûr, de voir que les gens ont à ce point-là peur de la réalité qu’ils lui donnent tort, qu’ils se donnent tort, qu’ils partent perdants d’avance, qu’ils partent du principe qu’ils ont déjà échoués et qu’ils se réfugient dans leurs fantasmes, mais ce dont on a peur en fait, c’est de nos fantasmes, ce n’est pas de la réalité, c’est de ce qu’on imagine qu’elle est, ou plutôt de ce qu’on imagine qu’elle n’est pas par rapport à ce qu’on imagine. Le cinéma industriel empêche de se confronter à la réalité parce qu’on a peur d’être déçus, et il participe à la déception que serait la confrontation à la réalité en produisant des images qui ne lui correspondent pas. Pourtant, on pourrait ne pas partir perdants et avoir confiance, ce serait imaginable aussi.
Je ne serai pas agressif, je ne me sens pas assez concerné et précisément, je ne comprends pas que les gens qui font ou qui vont voir ces films se sentent concernés, parce que je ne vois pas à quoi ça correspond maintenant, actuellement, tout de suite, dans la réalité. Qu’on aime l’archéologie, oui, bien sûr, il y a de quoi être fasciné même, mais ça ne donne l’idée à personne de fabriquer à l’heure d’aujourd’hui des fossiles. Le cinéma industriel produit des fossiles. Parfois de très jolis fossiles, aussi agréables à regarder qu’une prouesse de patinage artistique ou qu’une virtuosité de gymnastique rythmique, des fossiles époustouflants techniquement, mais sans aucune conséquence, parce qu’ils parlent de quelque chose qui n’existe plus depuis longtemps.
Il y a un moment où c’est quand même tout le rapport au cinéma qui est louche et suspect, la méthode, la pratique, la forme, le sens… Parce que les réalisateurs ne réalisent pas, ils virtualisent et ils mentent. Je veux dire, et je veux vraiment le dire, que mimer des histoires de vie que la plupart des gens ne connaîtront jamais, c’est fantasmer la réalité, et c’est lui donner tort. Et que toute une équipe se plie à cet objectif délirant, parce que c’est un délire, il faut le dire, de produire un idéal et des images, c’est exactement comme de partir en croisade pour dieu, de se déformer le corps pour la beauté ou de tuer des peuples entiers pour la perfection d’un peuple, oui je dis ça, oui, je sais, mais je le pense. On a réussi à se débarrasser des idéaux, à ne plus se mettre au pas d’un sens supra-individuel imaginaire qui normalisait et justifiait tout là où le cinéma continue d’en fabriquer un et de s’y soumettre. Et quand je vois un être humain, parce que ce n’est jamais qu’un être humain, c’est-à-dire un être ample et complexe, jouer le rôle de producteur, remplir son rôle, chercher à y correspondre, ressembler à l’image qu’on se fait d’un producteur, n’être plus que cette image (je rappelle qu’une image n’a que deux dimensions), ou le réalisateur investir sa mission idéale, ou l’acteur se torturer non pas pour que la caméra capte de lui sa réalité, on ne capte pas la réalité d’un être humain en le mettant dans des conditions virtuelles et délirantes, c’est tellement évident quand même, non, mais pour singer la vie, pour faire le singe ou le chien savant, je me dis que quand même la réalité n’est pas telle pour qu’on la déteste à ce point.
Le cinéma industriel produit un délire narcissique de petits autres (de a lacaniens), d’images projetées et délirantes de la réalité dont toute la société se rend complice. Et c’est beau et touchant, bien sûr, de voir que les gens ont à ce point-là peur de la réalité qu’ils lui donnent tort, qu’ils se donnent tort, qu’ils partent perdants d’avance, qu’ils partent du principe qu’ils ont déjà échoués et qu’ils se réfugient dans leurs fantasmes, mais ce dont on a peur en fait, c’est de nos fantasmes, ce n’est pas de la réalité, c’est de ce qu’on imagine qu’elle est, ou plutôt de ce qu’on imagine qu’elle n’est pas par rapport à ce qu’on imagine. Le cinéma industriel empêche de se confronter à la réalité parce qu’on a peur d’être déçus, et il participe à la déception que serait la confrontation à la réalité en produisant des images qui ne lui correspondent pas. Pourtant, on pourrait ne pas partir perdants et avoir confiance, ce serait imaginable aussi.